L’année 2010 et le début de l’année 2011 sont dramatiques pour l’Outre-Mer. C’est avec une grande tristesse que j’appris le décès de Julie Lynn Lirus Galap. Depuis le décès de Césaire, l’Outre-Mer n’a cessé d’être en deuil, perdant soit des intellectuels soit des artistes. Il y avait des points communs à ces disparus. Ils étaient d’une France éloignée par la distance, ils étaient de petits pays insulaires devenant territoires européens. Ils étaient de pays à esclaves, ils étaient des personnes ayant une mémoire de l’esclavage, de l’exploitation, de la colonisation, des travaux forcés et ils étaient tous pour l’égalité de traitement, la fraternité et le progrès. Le dernier point commun de ces personnes est qu’elles étaient noires par la couleur de leur épiderme, brillantes et humanistes par leur implication. Julie Lynn Lirus Galap faisait partie de ces personnes et elle fut sans doute la plus discrète et la plus méconnue.

De Martinique à Paris

Née dans les quartiers pauvres de Fort-de-France, elle fut remarquée très tôt par un professeur qui fut fasciné tant par la vivacité de son esprit que par l’élégance de sa personne. Cet homme la soutiendra jusqu’à l’Université. Arrivée à Paris, elle entreprit des études d’histoire qu’elle abandonna pour l’anthropologie et la psychologie. Ce choix a été déterminé par le fait que dans les années 1960-70, les populations de l’Outre-Mer souffraient de difficultés politiques et sociales. Par ce choix, elle souhaitait rendre hommage aux fondateurs de la négritude, caribéens pour leur majorité, se sentant très proche de la négritude de Césaire. C’est un temps oublié de tous où bon nombre de femmes suivaient l’exemple de cette avocate guadeloupéenne qui fut la première femme inscrite au barreau de Guadeloupe en 1939 et qui, adhérente au Parti Communiste Français, fut la première femme élue à l’Assemblée Nationale : Gertie Marie Bernadette Archimède. C’est le temps des premières gloires de Maryse Condé, c’est le temps où les femmes de l’Outre-Mer se sont saisies de la complexité de l’être au regard tant de leur féminité que de leur négritude.

Le monde selon Galap

Durant sa vie, Julie Lynn Lirus Galap n’a cessé de marcher dans les pas que d’autres avaient ouverts. Directrice de l’ANT, elle n’a eu de cesse de privilégier l’égalité mettant en place des modules d’insertion et de formation, ainsi que des modules de retour pour les personnes en grande difficulté mentale et morale dont l’éloignement familial ou territorial menaçait la santé. Cette approche administrative de traitement de la personne par la psychologie et l’anthropologie, prenant en considération les blessures de l’être conséquentes aux méfaits de l’esclavage, les douleurs de l’être conséquentes au regard de la société esclavagiste, fut une première innovante en Europe qui aboutira à la création du centre d’étude des dysfonctionnements chez les antillo-guyanais et les réunionnais à qui ce centre apportait un soutien actif et une aide morale. Si la population des Outre-Mer a rarement manifesté de haine à l’égard des membres signifiés ou assimilés à la société esclavagiste, on ne peut que remercier des personnes telles Julie. D’ailleurs, la politique comme le pouvoir ne se sont pas trompés lorsqu’elle a été expressément demandée comme Directrice de cabinet par Louis le Pensec, Ministre des Départements et Territoires d’Outre-Mer du second gouvernement de Michel Rocard et du gouvernement d’Edith Cresson. Ce qui encore une fois fut une première concernant le monde féminin de l’Outre-Mer.

L’après-ministériel

Jacques Chirac élu à la défaveur de François Mitterrand, Julie Lynn Lirus Galap prend du recul sur la politique, revient vers le centre et l’enseignement. Au regard de son parcours, on pourrait imaginer qu’il lui aurait été facile de monter la première chaire en France sur l’histoire des personnes noires. Ce nouveau combat fut pour elle sans doute le plus difficile. Son étonnement fut de constater la fermeture de l’Université sur ce à quoi elle croyait et qui avait structuré son parcours. Après maintes embuches et négociations, cette chaire vit le jour, avec une anomalie puisque Julie Lynn Lirus Galap ne pouvait encadrer de thèses, ce qu’elle a finalement obtenu à force de persévérance. Ce combat elle le gagna il y a 10 ans. Elle le gagna pour Aimé Césaire, pour Edouard Glissant, pour Maryse Condé qui n’ont jamais eu cette possibilité d’enseigner sur l’hexagone à l’Université, d’établir des chaires et d’encadrer des thèses.

Les dernières années de sa vie furent pour elle d’une grande solitude, la maladie ne lui permettant pas de se déplacer et parfois même de recevoir, mettant en défaut sa coquetterie et son élégance. Elle laisse derrière elle une action inestimable, méconnue et dont seuls les acteurs de l’époque et ses amis ont mémoire. Cependant ce travail est réel et perdure à ce jour. Néanmoins il est nécessaire de s’interroger, tant sur la portée de cette implication que sur le progrès qu’elle engage. En effet, il ne fut pas une personne de l’Outre-Mer, petite ou grande gens, impliquée dans cette époque post-coloniale qui ne fut pas sensible aux idées de progrès, de lutte contre le racisme et les discriminations, et de continuité territoriale. La différence avec notre époque est que ces personnes furent impliquées dans des domaines pour lesquels elles étaient qualifiées, fortes de leurs choix, de leur mémoire, de leur mentor et de la devise « liberté, égalité, fraternité ». La liberté elles l’eurent, l’égalité elles la conquirent et la fraternité elles la posèrent, avec succès malgré les difficultés, le mépris et l’humiliation. A ce jour, ce qui est intéressant à observer est l’effacement de cette histoire ainsi que sa méconnaissance par l’ensemble de nos contemporains. C’est fâcheux, outrageant et à nouveau méprisant. Cet effacement et cette méconnaissance tendent à montrer voire à démontrer que les gens de l’Outre-Mer seraient restés dans une histoire d’antan. Et là, il est nécessaire de remettre au clair des constats si ce n’est des vérités. 1848, seconde abolition de l’esclavage. 2011, il existe dans l’Outre-Mer des Fanon, des Césaire, des Glissant, des Camille Mortenol, des Gertie Archimède, des Lucette Michaux-Chevry, des Marie-Luce Penchard, des Patrick St Eloi, des Bambuck, des Edith Lefel, des Christiane Taubira et bien d’autres …

En conclusion, nous n’avons pas à inventer l’histoire. Fut un temps où l’histoire a été carnivore, devenant républicaine et devenue République. Et ces personnes furent ouvrières et mécaniciennes de cette République. Je ne m’attends pas à de grandes funérailles, mais il m’intéresse de savoir qui de l’Université lui rendra hommage, qui de la politique lui rendra hommage et qui de l’Etat lui rendra hommage.