Cameroun, avant 1934
Trône
Bois – 180 x 100 x 100
Paris, Musée du Quai Branly
Photo : Musée du Quai Branly

C’était, évidemment, prévisible. Comme tous les apprentis sorciers, Emmanuel Macron a lancé, avec le rapport qu’il a commandé sur les « restitutions » de l’art africain et l’annonce du retour « sans tarder » de vingt-six œuvres au Bénin, un processus qu’il va avoir bien du mal à circonscrire, à supposer qu’il le veuille vraiment.

Le ministre de la Culture du Sénégal, Abdou Latif Coulibaly, a indiqué que le Sénégal souhaitait désormais la restitution par la France de « toutes les œuvres identifiées comme étant celles du Sénégal ». « Si nous avons 10.000[pièces identifiées comme étant originaires du Sénégal], nous souhaitons avoir les 10.000 » (voir par exemple ici). Le rapport Savoy-Farr qui n’était déjà pas très subtil est largement dépassé. Le critère est désormais : une œuvre vient du Sénégal, elle doit y retourner. Aujourd’hui donc, les œuvres du Sénégal au Sénégal, les œuvres du Bénin au Bénin, les œuvres du Mali au Mali… Demain, certainement, les œuvres de Chine en Chine, les œuvre d’Algérie en Algérie, et pourquoi pas donc les œuvres françaises en France ! Allez hop, tous les Impressionnistes acquis par les États-Unis, revendiquons les puisqu’ils ont été peints en France !
Le pire nationalisme est en marche, et il a été lancé par l’action délétère du Président de la République française.

L’Agence de Presse Africaine nous apprend que, c’est fait, « la France va restituer des œuvres d’art au Cameroun » dont « le siège du 11ème roi Bamoun dans la région de l’Ouest arraché par des militaires français en 1925 »… Si le rapport propose que cette œuvre (ill.) soit restituée rapidement au Cameroun (une proposition, rappelons-le, qui n’est qu’un élément d’un rapport qui « n’engage pas le Président de la République » comme nous l’avait affirmé l’Élysée), le rapport ne précise aucunement qu’il aurait été « arraché par des militaires français ». Le mode d’acquisition, d’une « personne indéterminée », est « inconnu ». Bref, on peut désormais raconter n’importe quoi : aucune décision n’a été prise (décision qui serait d’ailleurs illégale dans l’état actuel du droit) mais l’œuvre va quand même revenir au Cameroun…

Mais au Cameroun, et même en Afrique, tout le monde ne semble pas d’accord avec l’idée de ces « restitutions », et ils avancent des arguments qui nous vaudraient des cris d’orfraie si nous les avions utilisés. Nous cédons donc la parole à des « experts de musées africains » qui ont participé à un symposium organisé à Berlin le 22 novembre dernier [1] : « Le patrimoine suspendu. Le colonialisme hier et aujourd’hui ». Selon le journaliste Werner Bloch, qui y a assisté, « beaucoup [de ces experts] sont très critiques à l’idée d’un retour […] certains les refusant même catégoriquement [2] » et donc « si l’on rendait à un groupe ethniques ses objets d’art, le groupe ethnique voisin n’en serait peut-être pas si heureux [3] ». Bref, certains experts africains pensent que ces restitutions peuvent devenir un facteur de discorde dans leur pays.

Ces voix hostiles aux restitutions comme les conçoit Emmanuel Macron commencent fort heureusement à se faire entendre en France et en Europe de la part de personnes qui osent s’exprimer publiquement. C’est ainsi qu’il faut rendre hommage à Jean-Jacques Aillagon qui s’est exprimé clairement dans une tribune parue dans Le Figaro, soulignant quelques évidences pour ceux (bien peu nombreux semble-t-il) qui ont vraiment lu le rapport Savoy-Farr : « Ce rapport constitue plutôt un véritable manifeste. La place qui y est donnée à la contradiction ou, au moins, au développement d’opinions réservées, est extrêmement faible ». Il appelle le ministère de la Culture à prendre ses responsabilités (alors que le ministre, nouveau dans sa fonction et apparemment peu au courant des enjeux, semble tétanisé et se mure dans le silence), souligne pour la déplorer la radicalité des préconisations du rapport qui « aurai[en]t pour effet de vider les collections africaines des musées français et, en tout premier lieu, celles du musée du Quai Branly », insiste sur l’importance de la notion d’inaliénabilité des collections publiques françaises et la nécessité d’une « concertation avec les autres nations européennes dont les collections sont issues de la même histoire politique mais, aussi, de la même histoire culturelle », rappelle l’importance d’une grande idée : « celle de l’existence de musées universels ou de constellations de musées – comme c’est le cas à Paris, avec le Louvre, Orsay, Guimet, le Quai Branly-Jacques Chirac – qui construisent un discours universel sur l’histoire civilisations », et conclut sur un espoir, bien mis à mal désormais : « qu’au radicalisme catégorique d’un rapport qui agite l’opinion, on préfère les voies courageuses, mesurées et raisonnables d’une coopération renforcée avec les pays africains ». Il est dommage que ce texte de Jean-Jacques Aillagon soit réservé aux seuls abonnés du Figaro et ne puisse pas être accessible à tous.

Il est non moins dommage que, dans Le Monde cette fois, l’interview accordé par Julien Volper [4] et Yves-Bernard Debie [5] soit également réservé aux abonnés. Ceux-ci y donnent un grand nombre d’arguments de simple bon sens qu’ils avaient eu pour certains l’occasion de développer dans une émission de La Tribune de l’Art dont vous pouvez écouter le podcast ici.

Enfin, aujourd’hui même 29 novembre, l’Académie des Beaux-Arts a publié un communiqué, certes très prudent, où elle s’affirme « attachée à l’idée de musée universel, inventée en France, qui permet le dialogue entre les cultures et les civilisations » et tenir « à réaffirmer le principe intangible d’inaliénabilité des collections nationales ». Elle « affirme aussi que l’inaliénabilité des collections nationales, garantie par la loi, n’interdit en rien [l’]indispensable circulation des œuvres d’art » (vous pouvez lire l’intégralité du communiqué ici).

Cette chronique, hélas, se poursuivra dans les prochains jours…