Son œuvre reste toujours d’actualité cependant est-elle dans la logique des révolutions qui « éclatèrent » sur le continent africain ?
La question m’est posée, elle me dérange… Elle m’indispose, non pas sur le fait que d’écrire sur Frantz Fanon qui fut élève et fils d’Aimé Césaire, je le sais. Cette question ne me contrarie pas ni le militant ni sur l’intellectuel engagé ni sur l’homme d’action qui choisit la lutte révolutionnaire. La lutte pour les opprimés. Je connais. Je sais son parcours en Martinique avec Marcel Manville, Edouart Glissant, son engagement comme volontaire dans les Forces Françaises Libres, son apprentissage comme médecin, qui devint spécialiste de médecine légale et de pathologie tropicale, puis psychiatre. Je connais son premier poste à Saint Alban et sa nomination comme médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida, alors Blida-Joinville. Encore, je sais ses implications du côté des colonisés ainsi que sa participation aux opérations clandestines, sa lettre de démission au ministre-résident. Encore, je connais son expulsion d’Algérie ainsi que son affiliation au Gouvernement provisoire de la Révolution algérienne à Tunis. Ses responsabilités importantes au sein du FLN, sa participation à la création de la rédaction de son journal « El Moudjahid » dont il fut membre ; il fut ambassadeur au Ghana, se rendit à Accra, à Conakry, à Addis-Abeba, à Léopoldville, au Caire et à Tripoli ; il contribua à la fondation de plusieurs hôpitaux psychiatriques en Afrique ; il échappa à plusieurs assassinats et attentats en Algérie, au Maroc, en Tunisie et fut sérieusement blessé sur la frontière marocaine en 1959. Durant une mission secrète en 1960, entre le Mali et le Sahara algérien, il fut malade et on lui découvrit une leucémie. Oui, cela je le sais, oui cela je le connais. Frantz Fanon est mon héros… je pourrai parler, écrire de lui, sur lui des heures entières.
Cependant, la question m’embarrasse. Je ne suis d’une quelconque géographie africaine. Je ne suis pas africain. Je suis de ces héritiers des colonisés invisibles de France à qui il fut demandé être de bon immigré. Je m’inscris dans le cadre de la volonté d’apparaître et d’être visibiliser. Je n’ai pas fait le choix de la violence et je refuse la place de dominé. Je me suis engagé dans la révolte conscientisée. J’ai choisi un canal politique en affirmant que des solutions sont possibles, dénonçant ainsi non plus des individus mais le système. Et aujourd’hui les systèmes.
A ceux qui pensent que les héritiers des anciens colonisés ou des néo-colonisés sont enfermés dans ces choix de violence ou de révolte, confrontés à la situation de l’histoire coloniale, je réponds « peau noire, masques blancs ». J’affirme que les individus peuvent « sortir des cadres préétablis » : ils peuvent dépasser leur « constitution » à laquelle on les renvoie.
La question m’importune. Frantz Fanon marqua profondément en son temps la pensée de l’anticolonialisme partout dans le monde : en Occident tant à la fois en Europe qu’aux Etats-Unis ; dans les pays colonisés ; dans les esprits et dans les actes des colonisés eux-mêmes.
Et, aujourd’hui en France, il est délaissé et oublié par le plus grand nombre malgré la portée de ce qu’il affirma, construisit et contribua à engager par l’actualité de sa pensée et de son combat. Et voilà en quoi cette question me gêne… En effet, par mes connaissances sur l’homme, sur le militant, sur l’intellectuel engagé, sur l’homme d’action ma réponse est positive. Oui, son œuvre est toujours d’actualité et s’inscrit dans la logique des révolutions qui « éclatent » sur le continent. Cependant au regard de mon espace, à partir de la France pays colonisateur, ma réponse est non… Un bon immigré est un immigré invisible.
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